>> Pour donner envie de Lire

 

>>Louis Richard, le livre et le théâtre de marionnettes

Le Théâtre Louis Richard, né à Roubaix en 1869, dans ses murs en 1884 s’appuie sur un phénomène de théâtre des quartiers ouvriers du XIXème siècle commun à la Picardie, au Nord-Pas-de-Calais et à la Belgique flamande et wallonne. Cette expression de l’art dramatique s’est appuyée sur un courant profond de démocratisation de la lecture, de l’instruction, du théâtre.

On sent l’héritage du XVIIIème siècle français dans un engouement pour le théâtre, dans l’importance du théâtre de marionnettes à une époque où la comédie française, par la défense de ses privilèges, amènera des auteurs dramatiques à être joués par les personnages de bois.

Mais on sent aussi l’intérêt grandissant pour la littérature de colportage, la fameuse bibliothèque bleue et le développement de la lecture qui anticipe en France sur les lois scolaires du dernier quart du XIXème siècle. Les théâtres de marionnettes des régions citées jouent « Geneviève de Brabant », « Ourson et Valentin », « Le Juif errant »… grands succès de la littérature de colportage.

Après 1870, en France, ce répertoire apparaîtra comme démodé. Aux vieux thèmes souvent édifiants, viendront se substituer les romans feuilletons, aux pieux chevaliers, les mousquetaires libertins. Les milieux républicains développent l’éducation populaire avant que l’école de Jules Ferry, obligatoire, gratuite et laïque vienne marquer durablement l’histoire de l’éducation en France. Les romans feuilletons de plus en plus nombreux, la presse se démocratise.

 

Le théâtre de Louis Richard, à Roubaix, épouse mieux que d’autres cette évolution dans une ville marquée par le rôle des élus républicains puis par le mouvement ouvrier. Louis Richard fut, dans sa ville, le seul à vivre de son art qui n’est plus pour lui un complément de ressources et un travail supplémentaire. Il réussit à répondre au mieux aux attentes de ses spectateurs.

 

Son théâtre suit l’évolution des goûts littéraires. Il est démocratique : les spectateurs débattent et votent autour des thèmes mis en scène. Ses héros sont ceux de l’école de la République, ses principes ceux de la morale de l’école de Jules Ferry. On vient entendre et apprendre la langue française dans une ville où l’on parle majoritairement picard, où l’on arrive en masse venant de Belgique flamande ou wallonne. On vient apprendre l’histoire de France. On ouvre aux entractes le roman illustré sur les genoux. Lecteurs et analphabètes se côtoient selon leur génération comme c’est parfois encore le cas dans l’immigration. Mais pour tous, on devient français au Théâtre de Louis Richard.

 

 

>>Un héritage à faire fructifier

       Avant 1914, déjà les petits théâtres de marionnettes des quartiers ouvriers sont en difficulté. Le cinéma est devenu, avec l’ouverture des salles de quartier vers 1907, un redoutable concurrent. Les distractions se multiplient (café-concert, café cinéma, bals, etc.…).


Les vieux montreurs de marionnettes sont parfois dépassés par le niveau d’instruction de leurs jeunes spectateurs. Les théâtres où évoluent des comédiens ouvriers ferment ou envisagent l’action professionnelle et demandent des subventions. Dans l’entre-deux-guerres, les théâtres populaires ont pris la forme associative, amicales laïques d’une part, patronages catholiques d’autre part. Dans le Nord de la France, seul le Théâtre de Louis Richard survit avec son fils Léopold, son petit-fils Florien. En 1980, le Théâtre retrouve une nouvelle jeunesse. Andrée Leroux, Alain Guillemin ont déjà engagé un travail de recherche historique, un important collectage de mémoire, de préservation des textes, des témoignages venant des « comédies » ouvrières et de l’œuvre familiale des Richard. Le Théâtre Louis Richard va de nouveau créer, des centaines de marionnettes vont être de nouveau réalisées, des pièces écrites, des spectacles mis en scène.


Florien Richard (1920-2001), petit-fils du fondateur et qui participe à la survie du théâtre avec son père Léopold est au centre de ce renouveau. Loin du discours convenu sur le «respect de la tradition», le TLR va faire vivre l’œuvre du fondateur dans la société contemporaine en en conservant l’esprit : de grandes œuvres de la littérature vont être portées à la scène « l’île au Trésor » d’après Stevenson, « le Fantôme de Canterville » d’après Oscar Wilde, « Gulliver à Lilliput » d’après Jonathan Swift, Kernok le pirate d’après Eugène Sue. Grands enfants, adolescents sont concernés, mais le TLR joue pour les adultes, salut l’apport philosophique arabo-andalou avec « En quête d’Ibn Rushd » en hommage au philosophe (alias Averoes), cherche à donner sa dimension réelle à George Sand avec « Masques et Burattini », conserve l’intérêt pour l’histroire avec « Salut et Fraternité » à propos de la Révolution Française. « Histoire de Bibi Lolo » évoque la mémoire d théâtre dans son rapport à l’histoire de France et au livre pour les enfants des écoles primaires, « Un loup dans un Livre » pour les tout petits met au centre le livre source de l’imaginaire et du merveilleux.

Autour du thème du loup ou en hommage à George Sand, les spectacles du TLR, le travail mené avec le Centre National de la Documentation Pédagogique amènera à utiliser les spectacles dans la réalisation de DVD destinés à utiliser les images pour amener au livre.


Voilà donc quelques aspects de l’histoire et de l’évolution d’un théâtre qui fut longtemps en position charnière entre l’écrit et l’oralité : on passait du roman illustré ou du feuilleton au « drame de combat » dont les dialogues étaient improvisés par l’intermédiaire d’un petit écrit le « canevas » résumé de l’action acte par acte. Un vieux montreur de marionnettes analphabète Alphonse Fieuw se faisait lire par sa fille scolarisée les romans dont il tirait les thèmes de ses pièces. Dans leur plus glorieuse époque (1880-1906) les théâtres de marionnettes regroupaient un public analphabète et un public de jeunes ouvriers passés par l’école. Les livres s’ouvraient aux entractes et la curiosité aidant, les marionnettes favorisaient le développement d’un enseignement mutuel.


Dans sa période de survivance, entre les deux guerres mondiales, le théâtre de Louis Richard résiste au cinéma en affirmant son caractère éducatif même s’il est de fait ignoré par les milieux de l’enseignement.


Dans son renouveau actuel, le TLR porte à la scène une œuvre où la vision d’un auteur en situant clairement sa démarche dans la perspective de donner envie de lire. Le spectacle lui-même, les documents produits, les expositions, les débats avec les spectateurs constituent autant de médiateurs vers le livre. On l’a vu, le passage de la marionnettes sur de nouveaux vecteurs pour amener au roman est lui aussi pris en compte.